Le juriste Alexandre Diehl donne son avis sur la décision de Twenga d'attaquer Google pour concurrence déloyale et abus de position dominante devant la Commission européenne. Selon lui, c'est peine perdue...

Alexandre Diehl, juriste et avocat d'affaires du cabinet Lawint (voir photo ci-dessous), est un rédacteur habituel du site Abondance et de sa lettre professionnelle. Il nous livre ci-dessous son avis sur la décision de Bastien Duclaux (Twenga) d'attaquer Google devant la cour européenne pour cause de concurrence déloyale :

"D'un point de vue juridique (mais, pour une fois, il s'agit vraiment ici de l'objet de l'action), Bruxelles n'a quasiment aucune compétence judiciaire. En effet, la Commission a un pouvoir d'enquête (comme l'Autorité de la Concurrence en France) qui pourrait, éventuellement, donner lieu à des remontrances, voire, dans le pire des cas, une amende. Mais, le procès se déroulera en toutes hypothèses devant la Cour de Justice de l'Union européenne (qui est à Luxembourg…).

Sur le fond, une action en droit de la concurrence sur ce terrain nous semble extrêmement étonnante. D'abord, il ne s'agit pas d'une plainte. Ensuite, si la Commission accepte d'ouvrir une enquête, Twenga devra établir plusieurs faits qu'elle ne peut pas, en pratique établir, et notamment est-ce que Google abuse de sa position dominante en Europe ? Il ne faut pas simplement répondre "oui" ou "non", il faut argumenter et surtout démontrer. Or, comme les lecteurs assidus de la Lettre Mensuelle d'Abondance le savent, la Commission enquête en ce moment-même précisément sur plusieurs faits de nature à distordre la concurrence (comme l'éventualité d'interventions humaines de la part de Google dans le search ou autres services). Dans le meilleur des cas, l'action de Twenga sera "jointe" à l'enquête en cours et Twenga aura le loisir d'être entendu. Dans le pire des cas, l'action de Twenga sera mise de côté en attendant les résultats de l'enquête générale initiée par la Commission elle-même il y a un an et les conclusions de cette enquête seront, comme par hasard, les mêmes conclusions que celle de l'action de Twenga.

Cette stratégie est d'autant plus étonnante que Twenga aurait pu attaquer Google devant les tribunaux français pour les faits reprochés. Plusieurs jurisprudences du Tribunal de Grande Instance de Paris ou d'autres tribunaux étaient favorables aux demandes de Twenga et cette dernière aurait pu obtenir de fortes sommes devant les juridictions nationales. A ce titre, l'article 1382 du Code civil permet de réparer toute faute civile (comme les malheurs de Twenga) devant un tribunal français. C'est sur ce fondement que Google est (de plus en plus) fréquemment condamné pour des faits semblables.

Ceci dit, pour le monde de la recherche d'information, l'action de Twenga aura au moins le mérite de valider ce schéma de contestation (devant la Commission) ou non…"

Alexandre Diehl
Source de l'image : Abondance