Lors du dernier événement One-to-One Retail e-Commerce à Monaco, Daniel Alegre, président Retail, Shopping et Paiement de Google, a annoncé le lancement officiel de Google Shopping Actions en France pour début avril. Mais qu'est-ce que le service Google Shopping Actions ? Pourquoi Google se lance-t-il dans l'e-commerce ? Faut-il s'y intéresser si l'on est e-commerçant ? Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre dans cet article.

Par Philippe Yonnet


Un service lancé uniquement en France et aux USA

Bien que Google refuse de qualifier son produit « Shopping Actions » de marketplace, il en possède bien la plupart des attributs qui caractérisent une « place de marché ». Mais Google marche sur des œufs pour ne pas s'aliéner le marché de l'ecommerce avant même d'avoir commencé à le pénétrer.

On trouvera un bel exemple prouvant que Google avance masqué dans sa communication, dans cette interview de François Loviton (directeur retail et ecommerce chez Google) à LSA.

Google Shopping Actions propose aux e commerçants d'utiliser un nouveau format de PLA (les « product listing ads ») paramétrable depuis le Merchant Center. Jusque-là, peu de changements par rapport à Google Shopping. Mais ce format permet aux internautes de glisser les produits dans un « panier universel », actionnable également depuis Google Assistant (mais pas encore en France, comme nous l'expliquerons plus loin). Ce panier peut être transformé en commande en un clic, à partir d'informations de paiement préenregistrées par l'utilisateur. La commande est ensuite dispatchée entre les différents marchands.


Fig. 1. Fonctionnement de la version US de Shopping Actions.

Aux Etats Unis, les commandes sont acheminées par le service Google Express. Ce service n'existe pas en France, et son lancement prochain n'est pas à l'ordre du jour, cela signifie que les marchands qui vont souscrire à Google Shopping Actions doivent prendre en charge eux même la logistique d'expédition des produits commandés.

Outre cette différence, deux autres fonctionnalités fondamentales n'existent pas dans la version française :
• La possibilité de click and collect ;
• Et l'intégration dans Google Assistant, repoussée à fin 2019 (voir plus loin).

Notons également que les produits alimentaires ne sont pas aujourd'hui commercialisables via Shopping Actions.

A quoi ressemble le produit pour l'utilisateur en France

Bien que le lancement ait été annoncé pour début avril, à ce jour un grand nombre d'internautes ne voient pas les boutons d'achat sur les annonces Google Shopping. Si vous faites partie des heureux élus (Google annonce 50% des comptes, mais à la date de rédaction de l'article mi-avril, c'est probablement moins), et à condition d'être connecté à votre compte Google, voici à quoi ressemble la page d'accueil de Google Shopping :


Fig. 2. Page d'accueil de Google Shopping.


Fig. 3. Les e commerçants partenaires disposent d'une page boutique dédiée, ici celle de Boulanger.


Fig. 4. Le paramétrage de l'intégration de votre boutique et de vos produits se fait par le « Google Merchant Center », comme pour Google Shopping.



Fig. 5. Dans Google Shopping, les produits que l'on peut acheter via Shopping Actions sont repérables grâce à la présence d'une petite étiquette bleue.


Fig. 6. La fiche produit d'un article dotée de l'étiquette bleue dispose d'un bouton de mise en panier.

Les produits mis en panier apparaissent dans un panier « multi marchands ». Rappelons que chaque marchand gère sa propre logistique, ce qui signifie que le client recevra au moins autant de colis séparés que de marchés, avec des délais de livraison variables.


Fig. 7. Le panier « multimarchand ».

Pour finir, voici ce que voit le client au moment de payer :


Fig. 8. Finalisation de la commande et paiement.


Fig. 9. Sur mobile, voici à quoi ressemble l'expérience sur Shopping Actions.

Pourquoi Google lance-t-il ce produit ?

Shopping Actions est clairement une réponse destinée à prendre des marchés à Amazon, mais aussi pour ne pas laisser le géant de l'e-commerce américain prendre de l'avance technologique sur les achats en ligne via des assistants.

Aux USA, Alexa et Amazon Echo occupent une place importante dans les usages, ce qui préoccupe évidemment la firme de Mountain View. En France, les produits équivalents de Google sont (pour le moment) plus connus et plus utilisés. Google et Amazon sont également des concurrents féroces sur le marché du Cloud Computing.


Fig. 10. Les appareils équipés de Google Assistant dans le monde sont aussi nombreux que ceux équipés de Siri, et 5 fois plus nombreux que ceux équipés d'Alexa. En revanche, en termes d'usage, les utilisateurs d'Alexa sur les appareils équipés sont en proportion beaucoup plus nombreux, surtout aux USA !


Fig. 11. Et Amazon domine largement le marché des hauts parleurs intelligents aux USA

Les conditions pour être référencé dans Shopping Actions

N'importe quel e-commerçant ne peut pas s'inscrire dans le programme Shopping Actions. En effet, Google, contrairement aux USA, ne dispose d'aucune solution logistique en France. La condition sine qua non pour pouvoir s'inscrire est donc d'être capable d'assurer les livraisons au client directement et de manière fiable et rapide.

Voici les critères d'adhésion détaillés :
• Disponibilité et paiements en France : vous devez livrer vos colis dans l'ensemble de la France métropolitaine et traiter vos commandes en France. Vous devez accepter de verser des paiements depuis un compte bancaire français.
• Répondre aux critères de qualité des données : vos données produit devront être soumises aux tests de qualité des données de Shopping Actions France et être validées.
• Respecter les procédures de retour : vous devez accepter les retours pendant au moins 14 jours après la livraison.
• Répondre aux exigences de livraison :
o Vous devez livrer dans un délai de moins de cinq jours ouvrés à compter de la réception de la commande.
o Vous ne devez pas facturer les frais de remise en stock.
o Vous ne devez pas faire appel à des services d'expédition spéciaux
(tels que les services de livraison programmée ou par fret) pour les articles de votre inventaire que vous avez l'intention de vendre via Shopping Actions.
o Respecter toutes les autres règles de Shopping Actions.
o Respecter toutes les autres règles relatives aux annonces Shopping.

Des commissions inférieures à celles d'Amazon

Google se rémunère en prélevant une commission sur les ventes, dont les tarifs sont publics pour les USA, mais confidentiels pour la France. Si vous voulez savoir quels tarifs vous seront proposés si vous souhaitez intégrer le programme shopping actions, il vous faudra contacter Google via ce formulaire, et si vous êtes éligible, attendre d'être contacté(e) : https://services.google.com/fb/forms/shoppingactions-fr/

Mais il semble que Google pratique des tarifs agressifs, bien moins chers que ceux pratiqués par Amazon. Voici un comparatif réalisé par Lélia de Matherel, une journaliste du magazine LSA :


Fig. 12. Comparatif réalisé en décembre dernier par le magazine LSA à partir du barème public pratiqué aux USA. Les commissions prélevées par Google sont inférieures, souvent de plusieurs points par rapport à celles d'Amazon.

Faut-il se précipiter pour s'inscrire à Shopping Actions ?

Compte tenu des tarifs pratiqués, si vous êtes un e-commerçant, vous serez peut-être tenté d'intégrer le programme. Sauf qu'à l'heure où nous parlons, les volumes de vente sur cette nouvelle plateforme sont pratiquement inexistants.

Il faudra attendre que les boutons d'achat apparaissent sur les annonces shopping pour tous les utilisateurs connectés en France, puis que l'usage se développe avant de voir des volumes significatifs de transactions se développer. Donc si vous espérez bénéficier d'un boom de vos ventes grâce à ce produit, c'est raté. Il est urgent d'attendre…

En attendant, vous pouvez néanmoins décider de faire partie des pionniers. Durant la période de lancement, Google apporte un réel support aux e-commerçants pour qu'ils adaptent leurs données et leurs flux à la nouvelle plateforme. Ce ne sera peut-être plus le cas demain...

En tout cas, Shopping Actions représente un véritable espoir pour ceux qui aujourd'hui dépendent trop des ventes sur la Markteplace Amazon. Ce nouveau service pourra peut-être devenir une source de diversification, si le succès est au rendez-vous.


Fig. 13. En attendant d'avoir du recul sur des cas d'utilisation en France, on peut s'intéresser à ceux publiés sur Shopping Actions aux USA. Ici, les tests ont montré que combiner Shopping Actions et les Public Listing Ads (publicité classique sur Google Shopping) donne de meilleurs résultats en terme de retours sur investissements que de faire des campagnes sur l'un ou sur l'autre. Plus de détails ici..

Notons que Google ne peut pas pousser la visibilité de Google Shopping et Shopping Actions en Europe comme il le fait aux USA : ses déboires avec l'autorité de la concurrence européenne à propos de Google Shopping l'en empêche. Donc pour le moment, la visibilité de ce produit dans les pages de résultats de Google est on ne peut plus discrète, et le restera probablement : il faudra entrer via les PLA dans Google Shopping pour découvrir que l'on peut acheter les produits.

A quand l'intégration dans Google Assistant en France ?

L'un des sujets sur lequel Google est très en retard par rapport à ses annonces de l'été 2018 est l'intégration de Shopping Actions dans Google Assistant en France. Aucune date n'est officiellement annoncée.


Fig. 14. Aujourd'hui, la liste des « actions » possibles en France sur Google Assistant est franchement limitée. A part gérer des listes de courses, pas de possibilité de faire des achats en ligne !

Soyons honnêtes, il est peu probable qu'un nombre significatif de ventes transite par Google Assistant, mais l'intégration dans ce service de Google fait partie des caractéristiques intéressantes de Shopping Actions. Surtout si on fait le parallèle avec Alexa d'Amazon, dont les « skills » et les fonctionnalités permettent de faire des achats via un assistant depuis l'origine du service !

Si l'on en croit l'une des responsables de l'équipe digitale de Carrefour, le géant de la distribution travaille avec Google pour lancer cette fonctionnalité « au troisième ou au quatrième trimestre 2019 ». Il serait donc possible de faire des achats (non alimentaires) via Google Assistant grâce à quelques partenaires pionniers vers la fin de cette année.


Fig. 15. Aux USA, commander des produits via Google Home est déjà possible.

Quel avenir pour la Marketplace de Google ?

Google aborde clairement une activité qui n'est pas au cœur de son savoir-faire, qui reste sans conteste la publicité. Beaucoup d'indices montrent que la firme de Mountain View est d'un côté très sérieuse dans sa volonté de mettre un pied dans l'e-commerce, mais de l'autre aussi très prudente dans son approche. Le programme Shopping Actions a aujourd'hui plus l'apparence d'un test limité à deux pays, qu'un véritable virage vers l'ecommerce. Il en effet probable que les marchés boursiers perdraient confiance dans Google et sa maison mère Alphabet Inc. en cas de changement brutal de modèle économique.

Il s'agit néanmoins d'une évolution logique de Google, et on peut s'attendre à ce que la ligne de front entre Google et Amazon, jadis assez limitée, devienne de plus en plus longue. La firme de Mountain View doit prendre du terrain à Amazon sur l'ecommerce pour continuer à se développer.

On peut donc s'attendre à ce que ce produit évolue lentement mais sûrement, pour s'installer progressivement dans le paysage dans le cadre d'un plan de développement qui s'étalera probablement sur plusieurs années (si l'on garde le rythme actuel). Un produit de type « place de marché » comporte toujours un double challenge : séduire les clients finaux, et séduire les e-commerçants. Et ce n'est pas facile.

Et comme toujours avec les marchés bifaces, « the winner takes it all » : celui qui réunit le plus de marchands ou séduit le plus de clients, remporte durablement les deux faces du marché. Et pour le moment, ce « winner », c'est incontestablement Amazon, pas Google. Google est un challenger, qui doit innover, attaquer Amazon sur les faiblesses inhérentes à ses forces pour réussir. Google a des atouts, mais ce n'est pas gagné d'avance.

Terminons sur deux sources d'informations pour en savoi rplus sur les Google Shopping Actions : la page d’aide en ligne et le formulaire d’inscription. Bons tests !


Philippe Yonnet, Président de l’agence Search Foresight (https://www.search-foresight.com/)