Nous avons vu avec les précédents articles quels étaient les types de désinformation / mésinformation dont nous pouvions être victimes, nous avons également appris à nous méfier de nos biais d’interprétation et nous avons détaillé les critères à prendre en compte lorsqu’il s’agit de qualifier une source d’information. Avec ce dernier article nous allons évoquer la méthodologie et les outils permettant de vérifier les informations issues de ces sources, le fameux « factchecking ».

Factchecking et actualités

Le factchecking s’est imposé depuis quelques années, notamment du fait des innombrables fausses informations circulant sur les réseaux sociaux qu’il faut en permanence contrer ou « débunker » pour utiliser le terme consacré.

Ainsi de nombreuses équipes, intégrées ou non à des grands médias, assurent ce travail de vérification au jour le jour. Les plus connus en France sont Hoaxbuster (créé en 2000 !), Les Décodeurs du Monde, CheckNews de Libération ou encore AFP Factuel, mais il en existe beaucoup d’autres. Ainsi, en mars 2019, la société Digimind en recensait une vingtaine sur son blog (https://blog.digimind.com/fr/tendances/fake-news-ressources-essentielles-pour-apprendre-comprendre-lutter-contre ), auxquels on peut ajouter le service Captainfact.io (www.captainfact.io ), qui permet de mettre en place du factchecking collaboratif d’émissions live grâce au crowdsourcing (par exemple sur les interviews de Thinkerview). Bien entendu ces services ne sont pas à l’abri d’erreurs, de biais ou de petites manipulations. L’un des biais les plus courants est de ne traiter essentiellement que des questions tendant plutôt à renforcer les convictions politiques de leurs lecteurs et d’éviter celles plus gênantes… Lorsqu’ils se risquent à traiter ces dernières, on remarque que bien souvent, ils contrebalancent les faits inopportuns par un contre-argument de fin d’article qui, sans les contredire, vient les affaiblir (élément de contexte, déclaration d’une personnalité, …), car comme on le sait, on retient plus facilement ce que dit celui qui a le dernier mot, surtout s’il parle à nos émotions…

Ceci étant posé, ces sites font un excellent travail et méritent d’être utilisés. Il est d’ailleurs possible d’en interroger plusieurs en une seule fois via le moteur spécifique Fact Check Explorer (https://toolbox.google.com/factcheck/explorer ) proposé par Google.

 

Résultats de recherche du moteur Fact Check Explorer

 

Effectuer soi-même le factchecking d’une information

Bien entendu, ces services ne traitent qu’une petite partie de l’actualité et il est nécessaire de se créer une « boîte à outils » afin d’effectuer soi-même des vérifications. Quant à la méthode, elle est simple et peut se résumer en trois points :

  • Identifier et « documenter » l’auteur du contenu ;
  • Recouper l’information ;
  • Éclairer le contexte.

Identifier et documenter l’auteur du contenu

Il s’agit dans un premier temps de savoir qui parle mais aussi d’où il parle, c’est-à-dire de comprendre quelles sont ses accointances politiques et militantes afin d’en « neutraliser » les biais pour soi-même. Cela est souvent facile à savoir ou déjà su pour les journalistes en vue, mais pour les autres il faudra effectuer ses propres recherches. La première chose à faire sera donc de rechercher des informations sur le nom des auteurs en utilisant différents outils et services :

Outils disponibles Nom et URL
Moteurs de recherche traditionnels

La meilleure manière de démarrer.

Utiliser une requête de type :

« nom prénom » OR « prénom nom »

 

Google : www.google.com

Bing : www.bing.com

 

Moteurs de recherche de personnes Webmii : www.webmii.com (gratuit)

Spokeo : www.spokeo.com (US)

 

Réseaux sociaux professionnels LinkedIn : www.linkedin.com

Viadeo : www.viadeo.com

La meilleure solution pour rechercher dans ces sites est encore d'utiliser Google. Par exemple :

site:linkedin.com/in intitle:« nom prénom »

 

Moteurs et réseaux sociaux professionnels pour les chercheurs (s’il s’agit de littérature scientifique)

 

Academia : www.academia.edu

Researchgate : www.researchgate.net

Google Scholar : https://scholar.google.fr/

Google : en utilisant une requête de type :

site:academia.edu « nom prénom »

 

Réseaux sociaux grands publics
Pour trouver les comptes de réseaux sociaux rattachés à un même pseudo

 

Whatsmyname : https://whatsmyname.app

Namechk : http://namechk.com

Knowem : http://knowem.com

 

Twitter :
Questions à se poser :
·       Est-ce que le cercle social de l'auteur est cohérent avec la manière dont il se présente ?·       Quels sont les comptes qu'il suit ?·       Naviguer dans ses abonnés/ "following"·       Qui sont les comptes qui le suivent ?·       Quels sont leurs réseaux ?
 

Twitonomy : http://www.twitonomy.com

SparkScore : https://sparktoro.com/score

SocioViz : https://socioviz.net

 

Facebook :

Mêmes questions que ci-dessus.

Les outils tiers pour la recherche avancée dans Facebook ont disparu lors de la fermeture de l’API Graph Search en juin 2019

 

Moteur original de Facebook

 

Graph tips : https://graph.tips/beta/ (recherches simples)

 

Instagram :

Mêmes questions que ci-dessus.

Moteur original d’Instagram

 

Ingramer : https://ingramer.com/tools/instagram-search/

 

Recherche Google :
site:www.instagram.com « nom prenom »

 

 

Pour simplifier les choses, notons que de faux journalistes publiant des articles dans de vrais journaux ont récemment défrayé la chronique. Ainsi on apprenait en juillet dernier qu’Olivier Taylor, étudiant et journaliste pour le compte du Jerusalem Post et du Times of Israel, n’était qu’un avatar dont les articles avaient pour but de déstabiliser un couple d’universitaires londoniens (https://journalism.design/deepfakes/oliver-taylor-etudiant-modele-et-pure-fiction/ ). Quant à sa photo de profil, il s’agissait d’un deepfake tels qu’on peut en générer sur le site Thispersondoesnotexist (https://thispersondoesnotexist.com/ ).

Portrait en deepfake du journaliste « fantôme » Olivier Taylor

 

En juillet 2020 encore, on découvrait qu’un réseau de 19 faux journalistes avait publié dans de nombreux journaux anglophones depuis plus d’un an pour faire l’éloge des Emirats Arabes Unis. Là encore leurs visages étaient des deepfakes mais ils disposaient également de profils Linkedin visant à les crédibiliser (https://www.numerama.com/politique/635781-un-reseau-de-faux-journalistes-a-sevi-pendant-un-an-sur-le-web.html ).

On ne peut évidemment pas dire que les techniques de manipulation de la presse sont inédites, mais il est clair qu’elles se renouvellent au rythme des évolutions technologiques et qu’il faudra redoubler de vigilance dans les années à venir.

Recouper l’information

C’est la base du métier de journaliste, mais aussi de celui de veilleur… Le problème est qu’il s’agit d’une tâche chronophage et parfois impossible à mener. En effet, plusieurs médias peuvent par exemple avoir le même informateur. Recouper l’information du premier par la lecture des autres sera alors inutile. Il faudrait pouvoir remonter directement à la source initiale ou disposer de contacts sur place susceptibles de valider l’information, ce qui est généralement impossible pour le citoyen lambda. Heureusement, ce cas n’est pas si courant et une technique simple d’aide au recoupement consiste à utiliser la fonctionnalité « Voir la couverture complète » d’une actualité proposée par Google Actualités pour lire d’autres papiers lui étant consacrés.

Résultat de recherche sur Google Actualités


Eclairer le contexte

Enfin, pour valider une information, il est important de valider le contexte dans lequel elle se situe. On parle essentiellement ici d’identification précise de lieux, de personnes, de dates, d’objets visibles dans les photos ou vidéos associées. Ce travail, là aussi chronophage, est par exemple mené de manière magistrale par les enquêteurs citoyens de Bellingcat (https://www.bellingcat.com ) qui ont notamment permis d’identifier les responsables de l’empoisonnement de l’ancien espion russe Serguei Skripal (https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/24/affaire-skripal-comment-les-journalistes-de-bellingcat-ont-demasque-les-suspects-de-l-empoisonnement-de-salisbury_5466660_3210.html ) ou, avec l’aide de la BBC Africa, identifié les militaires camerounais responsables de l’exécution de deux femmes et deux enfants dans le nord du pays (https://www.letemps.ch/monde/bellingcat-site-aligne-revelations-laffaire-skripal ).

Les outils et services utilisés pour effectuer ces vérifications sont innombrables et multiformes car tout ce qui peut être exploité dans les images doit l’être :

  • Monuments ;
  • Bâtiments ;
  • Plaques d’immatriculation ;
  • Ombres portées au sol (afin de déterminer l’heure) ;
  • Végétation ;
  • Etc.

On s’intéressera également aux métadonnées intégrées à ces photos ou vidéos car elles peuvent renfermer des indices essentiels tels que des coordonnées GPS. Bien entendu, il faudra aussi s’assurer que ces images n’ont pas été manipulées. De très nombreux outils et services sont disponibles pour cela :

Outils disponibles Nom et URL
Recherche de métadonnées dans des photos Jeffrey's Image Metadata Viewer : http://exif.regex.info/exif.cgi

 

Metapicz : http://metapicz.com

ExifData : http://exifdata.com

 

Aide à la détection de manipulation de photos Photoshop et manipulations...

Forensically : https://29a.ch/photo-forensics/

 

Fotoforensics : http://fotoforensics.com

 

Recherche d’images similaires

Permettent par exemple de rechercher un monument ou un bâtiment par similarité afin de l’identifier

Google Images : www.images.google.fr

Bing : http://www.bing.com/images

Tineye : www.tineye.com

 

Recherche des métadonnées de vidéos Metadata2Go : https://www.metadata2go.com/

 

InVID : Aide à l’investigation de vidéos

Extension « couteau suisse » intégrant l’analyse des métadonnées, l’amélioration d’images, la détection de manipulations,… Un must ! ( un test détaillé ici : https://www.outilsfroids.net/2018/03/invid-incontournable-couteau-suisse-de-la-verification-dimages-et-de-videos/ )

 

Extension InVID Verification Plugin (Chrome & Firefox) : https://www.invid-project.eu/tools-and-services/invid-verification-plugin/

 

Il s’agit ici du « kit de base », mais il en existe beaucoup d’autres (voir par exemple cet annuaire « Verification toolset » : https://start.me/p/ZGAzN7/verification-toolset ) et il s’en crée régulièrement de nouveaux.

Plus généralement, on assiste clairement depuis 2 à 3 ans au déploiement d’une nouvelle tendance dans l’investigation en ligne qui vient raviver le concept d’OSINT (Open Source INTelligence) et agrège une communauté de plus en plus vaste d’utilisateurs. Au regard du thème de la validation des sources et des informations on ne peut que s’en réjouir tout en regrettant que cela serve avant tout les curieux, ceux qui cherchent à comprendre.

La désinformation, un sport qui se joue à deux

En effet et pour conclure, comme on l’aura compris au long de cette série d’articles la désinformation est un sport qui se joue à deux. Si l’on peut déplorer les fake news et les volontés de manipuler l’opinion publique qu’elles recouvrent dans de nombreux cas, on peut tout autant déplorer le manque d’envie de savoir de ceux qui en sont les cibles… Comme le concluait une étude américaine récente sur les biais cognitifs, « Vous n’avez pas besoin de rendre les gens moins partisans ou de leur faire abandonner leur biais. C’est beaucoup plus simple : vous devez amener les gens à penser un petit peu plus. »…  (https://www.sciencepresse.qc.ca/actualite/2018/07/24/succes-fausses-nouvelles-repose-notre-paresse ).

 

Christophe Deschamps, Consultant-formateur : veille stratégique, intelligence économique, social KM, e-réputation, mindmapping, IST (http://www.outilsfroids.net/)