Le règlement 2019/1150 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne est entré en vigueur il y a quelques semaines. Ce règlement a pour ambition de limiter les abus de certaines plateformes (comme Apple sur l’Appstore ou encore Amazon sur sa marketplace) ou de certains moteurs de recherche. Il impose donc des obligations à ces intermédiaires et des droits renforcés aux utilisateurs. Exploration pour en savoir plus...

 

Le champ d’application du règlement

Le règlement en question ne s’applique pas à tous et pour tous les services. Par exemple, les services de paiement en ligne ou plus largement les services financiers en ligne sont exclus.

De plus, seuls les « fournisseurs de services d’intermédiation en ligne » et les « fournisseurs de moteurs de recherche » sont concernés.

Les « fournisseurs de services d’intermédiation en ligne » sont définis comme des prestataires qui :
- permettent aux utilisateurs d’offrir des biens ou services aux consommateurs, en vue de faciliter l’engagement de transactions directes entre ces entreprises utilisatrices et des consommateurs, que ces transactions soient ou non finalement conclues ; et
- travaillent avec lesdits utilisateurs sur une base contractuelle.

Les « fournisseurs de moteurs de recherche » sont définis comme des prestataires qui proposent un « service numérique qui permet aux utilisateurs de formuler des requêtes afin d’effectuer des recherches sur, en principe, tous les sites web ou les sites web dans une langue donnée, sur la base d’une requête lancée sur n’importe quel sujet sous la forme d’un mot-clé, d’une demande vocale, d’une expression ou d’une autre entrée, et qui renvoie des résultats dans quelque format que ce soit dans lesquels il est possible de trouver des informations en rapport avec le contenu demandé ».

Il s’agit donc ici des marketplaces, des moteurs de recherche, des réseaux sociaux, des comparateurs de prix et des boutiques d’applications.

En termes territoriaux, le règlement a une portée mondiale et extraterritoriale : il s’applique à toute plateforme ou moteur de recherche quel que soit son lieu d’établissement dès lors que les entreprises utilisatrices /sites web d’entreprise sont établis dans l’Union Européenne et que ceux-ci y proposent leurs biens ou services.

 

Les nouvelles obligations des moteurs et plateformes

Information renforcée / Conditions Générales plus transparentes

La principale nouvelle obligation consiste en une batterie d’informations que toute plateforme et moteur de recherche doit désormais mettre à la disposition des consommateurs et utilisateurs. En effet, il a souvent été reproché l’opacité de certaines dispositions. C’est précisément pour lutter contre toutes ces opacités et impossibilités d’avoir des certitudes pour construire un business, que le règlement impose désormais à tous de nouvelles règles concernant leurs Conditions Générales.

Ainsi, ces intermédiaires doivent faire en sorte que leurs Conditions Générales :
- soient rédigées de manière claire et compréhensible ;
- soient facilement accessibles à toutes les étapes de la relation commerciale avec le fournisseur de services d’intermédiation en ligne, y compris au cours de la phase précontractuelle ;
- définissent les motifs des décisions de suspension, de résiliation ou d’imposition de toute autre restriction, en tout ou partie, de la fourniture de leurs services d’intermédiation en ligne à des entreprises utilisatrices ;
- comportent des informations sur tout canal de distribution supplémentaire et tout programme affilié potentiel par l’intermédiaire duquel des fournisseurs de services d’intermédiation en ligne sont susceptibles de commercialiser les biens et services proposés par des entreprises utilisatrices ;
- comportent des informations générales sur les effets des conditions générales sur la propriété et le contrôle des droits de propriété intellectuelle des entreprises utilisatrices.

Ces principes semblent évidents à bon nombre d’entre nous, mais il est fréquent que les intermédiaires ne les respectent pas toujours. Par exemple, Apple précise encore aujourd’hui, dans ses Guidelines qu’il peut rejeter une app qui serait « over the line ». Apple précise: “We will reject Apps for any content or behavior that we believe is over the line. What line, you ask? Well, as a Supreme Court Justice once said, "I'll know it when I see it". And we think that you will also know it when you cross it.”, ce qui est d’une opacité absolue. C’est d’ailleurs sur la base de ces textes qu’Apple avait tué, en 2013, une pépite française, Appgratis, en la sortant de l’Appstore en quelques heures, sans aucun préavis, pour, plusieurs mois après, lancer à son tour un service similaire

Le règlement impose également que tout fournisseur, plateforme ou moteur, prévienne en cas de changement des Conditions Générales et laisse un délai d’au moins 15 jours avant l’application des nouvelles Conditions Générales. Cela permet aux entreprises concernées et autres SEO, de prendre la mesure des changements envisagés. Au demeurant, si des adaptation techniques ou commerciales sont indispensables en vue de se conformer aux changements, le règlement impose un délai aussi long que nécessaire.

Comme en droit de la consommation française, si l’entreprise utilisatrice ne veut pas appliquer les changements, elle a le droit de résilier le contrat pendant ce délai, sans frais ni indemnité. A l’inverse, l’entreprise peut accepter immédiatement les nouvelles Conditions Générales et ainsi renoncer au délai « au moyen d’une déclaration écrite ou d’un acte positif clair », à savoir accepter de renoncer au délai par une case à cocher ou encore le fait d’utiliser le service.

Résiliation par les moteurs / plateformes encadrée

Les exemples d’app ou de services ou de sites exclus / blacklistés par les moteurs et plateformes sont nombreux. Et souvent, ces exclusions (ou résiliations) étaient soudaines, brutales. Afin de lutter contre ces comportements, le règlement impose d’une part une motivation écrite de la décision, d’autre part, un délai minimum de 30 jours et enfin, une possibilité pour l’entreprise sanctionnée, de se défendre.

Le cas particulier de la sandbox est d’ailleurs expressément visé à l’article 5.4 qui dispose que « Lorsqu’un fournisseur de moteur de recherche en ligne (…) a déréférencé un site internet particulier à la suite d’un signalement émanant d’un tiers, le fournisseur offre à l’utilisateur de site internet d’entreprise la possibilité de consulter le contenu de cette notification », organisant ainsi la possibilité pour la défense de savoir ce qu’on lui reproche.

Enfin, les articles 11 et suivants imposent et organisent un système de gestion interne des plaintes et de médiation afin de pouvoir régler tout différend. Le règlement habilite les associations représentatives et organismes d’intérêt public à saisir les tribunaux en vue de faire cesser tout manquement.

Ce point est important : en effet, depuis maintenant assez longtemps, de nombreuses entreprises vivent dans un écosystème contrôlé par un seul maître, que ce soit tout simplement sur Internet avec Google ou plus précisément dans les stores avec les éditeurs de plateformes. Le fait de pouvoir se défendre en cas d’accusation est un droit fondamental (datant au moins des Romains, c’est dire). De ce point de vue, le règlement est une véritable avancée qui, en pratique, sera appréciée par l’écosystème.

Information obligatoire supplémentaire pour les moteurs et les plateformes qui procèdent à des classements

Même si certains droits locaux connaissaient déjà la règle, le règlement impose que les moteurs et les plateformes qui procèdent à des classements précisent les « principaux paramètres qui, individuellement ou collectivement, sont les plus importants pour déterminer le classement ainsi que l’importance relative de ces principaux paramètres ». En d’autres termes, désormais Google et consorts vont devoir expliquer un minimum les paramètres des moteurs et dévoiler quelques détails encore ici peu connus. On peut aussi le voir autrement en se disant que la science de certains experts SEO sera désormais connue de tous, ce qui, à notre sens, n’est pas préjudiciable dans la mesure où un expert SEO sait, mais surtout fait…

D’ailleurs, cette information restera sommaire et fonctionnelle. Au demeurant, l’article 5.6 dispose bien que « les fournisseurs de moteurs de recherche en ligne ne sont pas tenus, lorsqu’ils satisfont aux exigences du présent article, de divulguer les algorithmes ou les informations dont on peut être raisonnablement certain qu’ils auraient pour effet de permettre de tromper les consommateurs ou de leur porter préjudice par la manipulation des résultats de recherche. »

Au final, pourquoi ce règlement ?

Les nouveaux droits et obligations de ce règlement semblent finalement assez peu révolutionnaires. Par exemple, la plupart des obligations existent déjà en droit français. Or, le législateur européen a souhaité que ce règlement voit le jour.

D’une part, ce règlement permet une uniformisation des droits et obligations au niveau de l’Union. Les pays de l’est de l’Union verront ainsi leur droit interne modifié en conséquence.

D’autre part, certains pourront s’étonner du fait que ces règles sont aujourd’hui et en l’absence de ce règlement, sanctionnées par le droit de la concurrence. En effet, les acteurs en position dominante peuvent être sanctionnés par le biais de l’abus de position dominante. Pour reprendre l’exemple de Google, celle-ci était en position dominante un peu partout dans le monde, aux dernières nouvelles.

Parts de marché des différents moteurs de recherche dans le monde.

Mais, pour reprendre le vieil exemple d’Appgratis, lorsqu’Apple décide d’exclure l’app sans préavis ni justification valable, Apple commet manifestement un abus de position dominante. Mais, comment une startup, aussi brillante soit-elle, pouvait-elle se lancer dans une croisade contre Apple, faire des procès qui durent des années et coûtent des sommes importantes, alors qu’elle est déjà à terre ? C’est sur ce point particulier que l’intérêt du règlement surgit : en imposant des règles impératives qui ne relèvent pas du droit de la concurrence pur, des organismes comme la DGCCRF deviennent compétents et peuvent donc, indépendamment de toute action d’une entreprise victime, lancer leur propre enquête et sanctionner les acteurs irrespectueux par des amendes et/ou l’ouverture d’une procédure pénale. De ce point de vue, le règlement est une réelle avancée concrète.

Il est donc désormais plus aisé pour un acteur victime d’un comportement illicite d’un moteur ou d’une plateforme de se défendre en saisissant soit directement la justice, soit en s’adressant à un organisme type DGCCRF. Les plateformes les plus petites doivent également se souvenir que, malgré leur taille modeste, elles doivent respecter l’ensemble de ces obligations au même titre que Google et Apple.

 

Alexandre Diehl
Avocat à la cour, cabinet Lawint (https://www.lawint.com/)