Les tensions entre Google et les médias indépendants atteignent un nouveau sommet avec le déploiement de Google AI Overviews, une fonctionnalité qui génère des résumés de contenu par intelligence artificielle directement dans les résultats de recherche. Cette innovation, présentée par Google comme une aide à l'utilisateur, est perçue par de nombreux éditeurs comme une « menace existentielle », redoutant des pertes massives de trafic et de revenus. Une coalition de médias indépendants a d'ailleurs déposé une plainte en Europe, accusant Google de s'approprier leur travail sans compensation adéquate et de nuire gravement à la viabilité de la presse libre.

Ce qu'il faut retenir :

  • Les éditeurs craignent une perte significative de trafic, de lectorat et de revenus et dénoncent l'utilisation de leurs contenus sans possibilité de refuser sans être totalement exclus de la recherche.
  • Plusieurs orgnisationsont déposé des plaintes auprès de la Commission européenne et de la Competition and Markets Authority (CMA) du Royaume-Uni.
  • Google nie que les pertes de trafic soient liées à AI Overviews, les attribuant plutôt aux mises à jour algorithmiques classiques ou à un simple manque d'intérêt des utilisateurs.

Google AI Overviews : l'IA au cœur des résultats de recherche

Les relations entre Google et les sites de médias indépendants ont toujours été complexes et souvent tendues. Mais l'arrivée des Google AI Overviews semble avoir mis le feu aux poudres. Rappelons que cette fonctionnalité est conçue pour résumer des contenus à l'aide de l'intelligence artificielle, en s’appuyant notamment sur les modèles de langage de la famille Gemini. Concrètement, lorsqu'un internaute fait une recherche, l'IA analyse les contenus web pertinents et génère un paragraphe synthétique affiché en haut des résultats, avant même les liens traditionnels.

Le problème, c'est que ces résumés ne mentionnent pas toujours clairement les sources d'origine, et, surtout, les éditeurs n'ont pas la possibilité de s'opposer à la reprise de leurs contenus sans risquer d'être complètement retirés des résultats de recherche de Google. Il s’agit d’une situation délicate qui met les médias au pied du mur.

Une « menace existentielle » pour la presse indépendante ?

Ce qui inquiète le plus les éditeurs, c'est l'impact direct des AI Overviews sur leur modèle économique. Si les utilisateurs obtiennent toutes les informations nécessaires directement via ces résumés, ils n'auront plus besoin de cliquer sur les articles originaux. Une baisse de clics se traduit directement par une perte de trafic, de lectorat et, in fine, de revenus publicitaires. On l'a vu avec l'exemple du New York Times, qui aurait déjà enregistré une perte de 36 % de son trafic à la suite de pratiques similaires.

Pour Rosa Curling, directrice de l'association juridique Foxglove et co-signataire d'une plainte, les AI Overviews menacent ni plus ni moins de faire disparaître les médias indépendants. Elle craint que cette fonctionnalité ne rende une grande partie du journalisme indépendant, déjà en difficulté, complètement obsolète.

De plus, cette situation soulève de sérieuses questions de conformité juridique, notamment en Europe. Les éditeurs invoquent le droit voisin, qui prévoit que les plateformes rémunèrent les médias pour l'utilisation de leurs contenus. Or, dans le cas des résumés générés par IA, aucune contrepartie n'est prévue. Par ailleurs, le Digital Services Act (DSA) exige plus de transparence algorithmique et une obligation de loyauté envers les contenus d'information. Les plaignants estiment que les AI Overviews contournent allégrement ces principes en s'appropriant la valeur ajoutée des éditeurs.

La réplique des médias : plaintes en Europe et au Royaume-Uni

Face à ce qu'ils considèrent comme un « préjudice conséquent », un groupe de médias indépendants a décidé de se mobiliser. C'est le collectif Independent Publishers Alliance (IPA), qui rassemble plusieurs éditeurs numériques européens, qui a déposé une plainte auprès de la Commission européenne le 30 juin dernier. Cette plainte a également été confirmée par la Competition and Markets Authority (CMA) du Royaume-Uni, auprès de laquelle une autre plainte a été déposée.

Parmi les signataires de cette démarche juridique, on retrouve des organisations de poids comme le Movement For An Open Web (MOW) et l'entreprise sociale Foxglove Legal. Leur principale revendication est claire : les éditeurs doivent avoir la possibilité de refuser que leur contenu soit utilisé pour les résumés IA de Google sans pour autant disparaître des résultats de recherche classiques. Ils réclament par ailleurs l'instauration de mesures provisoires pour éviter un préjudice irréparable en attendant une décision de justice.

Le Royaume-Uni, par l'intermédiaire de sa CMA, a proposé d’attribuer à Google un « statut de marché stratégique » sur la recherche en ligne. Si cette qualification venait à être approuvée, Google pourrait être soumis à une réglementation encore plus stricte, en particulier pour ce qui concerne l'utilisation du contenu pour ses AI Overviews.

"Les aperçus AI de Google volent les éditeurs sur deux fronts. Ils volent le contenu des éditeurs pour alimenter leur modèle d'IA et utilisent ensuite cette capacité pour voler du trafic en plaçant les aperçus avant les liens vers le contenu original. Il s'agit d'un exemple clair d'un monopole avéré qui abuse de son pouvoir pour exploiter les propriétaires de contenu et discriminer ses concurrents, et il faut y mettre fin maintenant.

La CMA entreprend - à juste titre - un examen approfondi et détaillé des actions potentielles à l'encontre de Google, mais nous ne pouvons pas rester les bras croisés et regarder les marques d'information se faire décimer. Le préjudice subi par les éditeurs est grave, significatif et irréparable. Nous devons prendre des mesures provisoires dès maintenant pour sauver l'industrie de l'édition britannique avant qu'il ne soit trop tard."

James Rosewell, cofondateur de Movement for an Open Web

La position de Google : une simple mise à jour algorithmique ?

De son côté, Google minimise l'impact de ses AI Overviews sur le trafic des médias. Un porte-parole a déclaré à Reuters que les pertes de trafic des médias indépendants n'étaient pas liées à cette nouvelle fonctionnalité. Pour Google, ces baisses s'expliquent plutôt par la demande saisonnière, l'intérêt des utilisateurs, ou tout simplement les mises à jour algorithmiques régulières qui peuvent impacter n'importe quel site web dans les résultats de recherche. La firme insiste d'ailleurs sur le fait qu'elle enverrait plus de trafic que jamais, et qualifie certaines affirmations sur les pertes de trafic de basées sur des données « incomplètes ou biaisées ».

Pour Google, les AI Overviews sont avant tout une opportunité pour les utilisateurs de réaliser de nouvelles recherches plus facilement. Rappelons que la fonctionnalité AI Overviews n'est pas encore disponible en France. Interrogée sur cette absence, Google évoque des « incertitudes juridique ». Il semblerait que Google hésite à déployer l'outil dans l'Hexagone, craignant de se retrouver une nouvelle fois sous le feu de l'Autorité de la concurrence française, surtout après avoir déjà été sanctionnée de 250 millions d'euros pour non-respect de ses engagements concernant la rémunération des éditeurs de presse.