C’est un coup dur pour le moteur de recherche français Qwant. Le 27 novembre 2025, l’Autorité de la concurrence a rejeté sa plainte visant Microsoft pour abus de position dominante et dépendance économique. Alors que Qwant accusait la firme de Redmond de l'asphyxier financièrement et technologiquement, le régulateur a estimé que Microsoft ne pouvait être considéré comme le « caïd » du secteur ; ce rôle étant déjà occupé par l'ultra-dominant Google. Cette décision, jugée sévère par la French Tech, relance le débat sur l'indépendance numérique européenne à l'heure de l'intelligence artificielle.

Ce qu'il faut retenir :

  • Pas de position dominante pour Microsoft : L’Autorité juge que la puissance écrasante de Google sur la recherche et la publicité empêche de qualifier Microsoft de dominant, même sur le marché de la syndication.
  • Une dépendance économique non prouvée : Le régulateur estime que Qwant n'est pas captif, citant le lancement récent de sa propre technologie en partenariat avec Ecosia en juin 2025.
  • Un enjeu vital pour l'IA : Qwant fait appel, arguant que les pratiques de Microsoft verrouillent l'accès aux données indispensables pour l'IA générative en Europe.

David contre Goliath : pourquoi l'Autorité a dit non

Au cœur de l'affaire se trouve une accusation grave : Qwant reprochait à Microsoft d'abuser de sa force pour imposer des conditions intenables. Concrètement, le moteur français dénonçait des pratiques d'exclusivité, des ventes liées (obligeant à prendre le « paquet résultats naturels + publicités ») et des restrictions techniques freinant ses projets d'intelligence artificielle.

Pourtant, le gendarme de la concurrence a balayé ces arguments avec une logique implacable : pour abuser d'une position dominante, encore faut-il en avoir une. Or, aux yeux de l'Autorité, le véritable maître du jeu reste Google. La firme de Mountain View détient une telle « position ultra-dominante » sur la publicité liée aux recherches qu'elle exerce une pression sur tout le marché. Microsoft, avec son moteur Bing, est donc perçu comme un challenger subissant lui aussi la loi du marché imposée par Google, plutôt que comme un tyran.

La syndication : le nerf de la guerre

Pour comprendre la colère de Qwant, il faut se pencher sur la « syndication ». C'est le mécanisme par lequel un moteur de recherche loue ses résultats (les liens bleus et les pubs) à d'autres acteurs qui n'ont pas la technologie pour tout indexer eux-mêmes.

C'est là que le bât blesse selon Qwant. Google ne loue pas sa technologie. Microsoft (via Bing) était donc, de facto, le seul guichet ouvert pour les moteurs alternatifs européens voulant exister. Pour Olivier Abecassis, directeur général de Qwant, dire que Microsoft n'est pas dominant sur ce marché spécifique de la recherche pour les entreprises est un contresens, car Google n'y est tout simplement pas présent.

Une asphyxie financière programmée ?

Les griefs de Qwant ne sont pas théoriques, ils sont comptables. L'entreprise française affirme que Microsoft a brutalement changé les règles du jeu :

  • Explosion des prix : Début 2023, les tarifs de l'API Bing Search (l'outil permettant de récupérer les résultats) ont doublé.
  • Coupure du robinet : Microsoft a finalement stoppé ce service le 11 août 2025, le remplaçant par une offre orientée vers les agents d'IA (Grounding with Bing Search) .

Les conséquences ont été immédiates. Olivier Abecassis révèle que ces décisions ont divisé les revenus de Qwant par deux entre 2023 et 2024. Ces fonds perdus devaient servir à embaucher des ingénieurs pour développer l'indépendance technologique du moteur.

L'argument de l'autonomie retourné contre Qwant

Ironie du sort, les efforts de Qwant pour s'émanciper ont servi d'argument à l'Autorité pour rejeter la plainte. Le régulateur a souligné que Qwant n'était pas en situation de « dépendance économique » absolue puisqu'elle a lancé, en juin 2025, une technologie commune avec le moteur allemand Ecosia, baptisée European Search Perspective.

L'Autorité note également que Qwant était le seul partenaire contractuellement autorisé par Microsoft à développer sa propre technologie en parallèle. Pour les juges, cela prouve qu'il existait des alternatives et que Qwant n'était pas pieds et poings liés. Une analyse que le dirigeant de Qwant trouve « déplacée », rappelant que cette autonomie est le fruit d'une reconstruction totale de l'entreprise depuis son rachat par Octave Klaba (fondateur d'OVHcloud).

Au-delà de la recherche : la bataille pour l'IA

Ce conflit juridique dépasse largement la simple page de résultats web. Pour Qwant, l'Autorité de la concurrence a « manqué de courage » en refusant de voir l'enjeu futur : l'intelligence artificielle générative.

Pour qu'une IA soit performante et n’hallucine pas, elle doit se nourrir de données fraîches et vérifiées issues du web. C'est ce qu'on appelle le RAG (Retrieval-Augmented Generation). En coupant l'accès à son API de recherche classique pour forcer le passage vers ses nouveaux outils IA, Microsoft verrouille l'accès à cette matière première indispensable.

Selon Qwant, en validant cette stratégie, le régulateur français rate une occasion de protéger l'écosystème européen. Si les acteurs locaux ne peuvent pas accéder aux infrastructures fondamentales de recherche de manière équitable, ils ne pourront pas bâtir leurs propres modèles d'IA souverains. Déterminée, l'entreprise française a annoncé faire appel de la décision.